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Patrimoine et Curiosités
1 septembre 2014

Les leaders de l'art contemporain, circuits de l'argent

http://www.lexpress.fr/culture/art/creation-contemporaine-un-art-de-deja-vu_1566359.html

Création contemporaine: un art de déjà-vu

Par , publié le 17/08/2014 à 13:32

Coupés du monde, seuls dans leur tour d'ivoire, les créateurs contemporains? Mais non! Comme certains de leurs prédécesseurs, ils s'inspirent des chefs-d'oeuvre qui ont jalonné les siècles, pour mieux se les réapproprier. Démonstration au Grimaldi Forum, à Monaco. 

Les Romains s'inspiraient des Grecs, la Renaissance s'est nourrie de l'Antiquité. Ingres admirait Raphaël ; Manet, la peinture espagnole. Picasso s'est emparé de Vélasquez et de Goya ; Warhol, de Michel-Ange et de Vinci... L'art n'est qu'un éternel recommencement. Et les plasticiens contemporains ne diront pas le contraire, eux qui entretiennent aussi des dialogues avec leurs prédécesseurs. Et plus qu'on ne le pense.  

C'est ce dont témoigne ArtLovers, exposition monégasque qu'orchestre Martin Béthenod, directeur du Palazzo Grassi, à Venise. Dans le Grimaldi Forum, il a rassemblé une quarantaine d'oeuvres puisées dans la collection de l'homme d'affaires François Pinault. Si différentes soient-elles les unes des autres, toutes sont construites sur le principe de la citation et de la référence. Depuis une trentaine d'années, on n'a même jamais tant recyclé, transposé, transformé. 

Est-ce le reflet d'une époque encline à la rétromanie, au vintage et à la nostalgie ? Sans doute. Mais, selon le commissaire, la prolifération de ces démarches s'explique surtout par l'évolution des techniques. "Reproduction, collage ou montage facilitent la réappropriation", analyse-t-il. Pour Caroline Larroche, auteur de Qui copie qui ? (Solar), le phénomène tient égale ment à "l'accessibilité des informations". Car Internet constitue le plus fabuleux réservoir de mémoire. Nul besoin, finalement, d'être un fin connaisseur de l'histoire de l'art pour la revisiter. Et les plasticiens d'aujourd'hui en prennent à leur aise. 

L'irrévérence, une forme d'hommage

S'ils regardent leurs aînés, ce n'est pas pour les poser sur un piédestal. Ils bousculent tout. Transforment la peinture en sculpture ou en photographie. Et vice versa. Superposent, télescopent époques et cultures, dans un incroyable maelström d'images. Parfois pointe l'hommage, lorsque Takashi Murakami mixe mangas et estampes japonaises ou que Damien Hirst 

reprend le style de Francis Bacon. Mais l'irrévérence domine - qui est aussi une forme d'hommage, d'ailleurs. Ainsi, ce buste autoportrait de Jeff Koons qui pousse l'esthétique néoclassique au summum du kitsch. Et l'on a parfois l'impression que la réappropriation vire au système. "Comme si, même sous forme de parodie, elle constituait, aux yeux des plasticiens, l'assurance de s'inscrire dans l'histoire de l'art et de trouver une forme de légitimité", estime Caroline Larroche. 

Pour les spectateurs, ces mises en abyme réservent en tout cas bien des surprises. En réactivant le passé, les "art lovers", selon la définition de Martin Béthenod, nourrissent leurs propres interrogations, leurs propres fantasmes. Et la combinaison peut se révéler déto nante. Les neuf corps que Maurizio Cattelan a allongés sur le sol, drapés sous un linceul, renvoient aux gisants du Moyen Age. Ici, pourtant, ils n'ont plus rien de religieux. Ils évoquent des cadavres sur une scène de crime ou un terrain de guerre.  

De la satire au grotesque

De même pour la plasticienne sud-africaine Marlene Dumas, qui a superposé, dans un diptyque, deux de ses toiles, l'une, inspirée duChrist mort, de Hans Holbein le Jeune (1521), et l'autre, d'un cliché, publié par le quotidien The Sun, montrant Michael Jackson dormant dans un caisson à oxygène censé ralentir son vieillissement. Du spirituel à la trivialité de la presse à scandale : on ne pouvait trouver façon moins conventionnelle de questionner l'immortalité. 

Certains poussent le bouchon vraiment loin, à l'instar des Britanniques Jake et Dinos Chapman. Ils ont acheté une série de gravures des Caprices de Goya (1799) et, sur ces originaux, ont peint directement à la gouache et à l'encre. Le trait satirique déployé par le peintre espagnol bascule alors dans le grotesque. C'est ce que les Chapman appellent une "collaboration". On n'est pas loin d'y voir du vandalisme. Ce sont les limites du genre. 

Ironie
Et tu, Duchamp ?, par Subodh Gupta.

Et tu, Duchamp ?, par Subodh Gupta.

© S. GUPTA - PHOTO M. BRUCE/Service de presse

Et tu, Duchamp?, par Subodh Gupta (2009). La fascination qu'exerce La Joconde, tant de fois reproduite, tient autant à l'oeuvre elle-même qu'à sa postérité. Marcel Duchamp est parmi les premiers à malmener son mythe lorsqu'en 1919 il réalise un collage dans lequel il l'affuble d'une moustache et d'un titre encore plus iconoclaste, L.H.O.O.Q. Quarante-quatre ans plus tard, l'incontournable Warhol s'empare lui aussi de l'icône, contribuant à son tour au phénomène de starisation. Au XXIe siècle, l'image de la Joconde reste ancrée dans les mémoires, comme le montre cette sculpture signée de l'Indien Subodh Gupta. Encore que. A y regarder de plus près, on s'aperçoit que son modèle n'est pas la Monna Lisa de Vinci, mais celle de Duchamp. Pied de nez à l'histoire de l'art. A chaque époque ses idoles. 

Vanité
Le regard liquéfié du plasticien Rudolf Stingel en cire, par Urs Fischer.

Le regard liquéfié du plasticien Rudolf Stingel en cire, par Urs Fischer.

AFP PHOTO / VALERY HACHE

Untitled, par Urs Fischer (2011). L'illusion est parfaite. On pourrait croire que cet Enlèvement d'une Sabine (1579-1582), sculpture de Giambologna, a fait le voyage de la piazza della Signoria, à Florence, au Grimaldi Forum, à Monaco. Mais il s'agit en réalité d'une réplique en cire, grandeur nature, du marbre original... Et, lorsque est allumée la mèche plantée en son sommet, on imagine les questions que s'est posées l'artiste suisse, auteur de cette "réplique" : les copies peuvent-elles égaler les originaux ? Les références au passé tuent-elles la création ? Les hommes, à l'image de cette oeuvre, sont-ils voués à une inexorable disparition ? Deux autres éléments de cire complètent la scène. Cette chaise de bureau indique qu'il est question de travail. Urs Fischermatérialise aussi le regard d'un artiste : l'homme qui observe la fonte de l'Enlèvement est le plasticien Rudolf Stingel, son ami, à la fois témoin et victime du même processus de liquéfaction. Tout est vanité, décidément. 

Mixages

Untitled (Dancing Nazis), par Piotr Uklanski (2008). Dans cette installation lumineuse et sonore, Piotr Uklanski a combiné deux de ses oeuvres antérieures. D'un côté, Dance Floor, datant de 1996, qui, inspirée de l'esthétique minimaliste américaine des années 1960-1970, mixait les compositions géométriques de Carl Andre et les néons colorés de Dan Flavin dans une atmosphère de boîte de nuit évoquant le film Saturday Night Fever. De l'autre, Untitled (Nazis), datant de 1998, qui rassemblait 64 photos d'acteurs ayant interprété au cinéma des rôles de nazis. Citations et autocitations provoquent un mélange explosif et brouillent les frontières. Art ou divertissement, bon ou mauvais goût, vérité ou fiction ? Une bonne dose de provocation, en tout cas. 

Brouillage
La Cène, de Vinci finit par s'estomper derrière le double en négatif de The Last Supper, de Hiroshi Sugimoto.

La Cène, de Vinci finit par s'estomper derrière le double en négatif de The Last Supper, de Hiroshi Sugimoto.

© H. SUGIMOTO/SDP

The Last Supper, par Hiroshi Sugimoto (1999). Au top 50 des oeuvres les plus copiées, La Cène figure en bonne place. Longtemps admiré, ce chef-d'oeuvre de Léonard de Vinci, peint pour le réfectoire du couvent de Santa Maria delle Grazie, à Milan, a ensuite été parodié, notamment par Warhol, le pape du pop art. Et il a été tellement reproduit qu'on en a presque oublié l'original. La version qu'en donne Hiroshi Sugimoto s'inscrit dans cette perspective. Elle apparaît bien étrange. Et pour cause. L'artiste s'inspire non du tableau de Vinci, mais de la reconstitution qu'en a faite un musée de cire nippon. Le Christ et ses apôtres y présentent un aspect mortifère, qui transparaît dans la photographie de Sugimoto. Ce qui est donné à voir ici n'est plus que le fantôme d'une image. 

ArtLovers. Histoires d'art dans la collection Pinault.Grimaldi Forum, Monaco. Jusqu'au 7 septembre. Quelques oeuvres sont également visibles dans le Palais princier. 

 

http://www.lefigaro.fr/societes/2009/01/23/04015-20090123ARTFIG00292-arnault-pinault-les-retrouvailles-.php

  • Par 
  • Mis à jour le 25/01/2009

ARNAULT et PINAULT

C'est peut-être la fin d'une haine qui dure depuis dix ans. Selon nos informations, les deux empereurs du luxe, Bernard Arnault, PDG du numéro un mondial du secteur LVMH, et François Pinault, propriétaire de Gucci et de PPR, ont déjeuné ensemble mardi 20 janvier. Ces retrouvailles entre les deux rivaux les plus célèbres du capitalisme français, que l'on pensait irréconciliables, se sont déroulées au domicile d'un autre milliardaire, le Belge Albert Frère. Proche de Bernard Arnault, ce dernier, qui œuvrait semble-t-il depuis un certain temps à rapprocher les deux hommes, est finalement parvenu à les convaincre de se retrouver autour d'une table. Leurs épouses, Hélène Arnault et Maryvonne Pinault, auraient dit-on également plaidé en ce sens.

Si elle constitue un événement en soi, il est à ce stade difficile d'interpréter les raisons profondes et les conséquences à venir d'une telle rencontre, que les entourages de Bernard Arnault et de François Pinault ne souhaitent pas commenter. Une chose est sûre : la guerre sans merci que se livraient les deux hommes d'affaires depuis des années, émaillée de coups d'éclat et parfois de coups bas, avait pris un tour irrationnel. Avec le temps, et probablement aussi avec une crise qui n'épargne personne, cette situation a pu engendrer une certaine lassitude.

Les hostilités entre Bernard Arnault et François Pinault avaient débuté le 19 mars 1999, très précisément. Ce jour-là, le second annonce son entrée fracassante dans le luxe, la chasse gardée du premier, en prenant 42 % du maroquinier italien Gucci, dont Arnault avait depuis janvier raflé 34 % du capital et se retrouve dilué par cette opération à 20 %. « Messieurs, il paraît que La Redoute entre dans le luxe », déclare, livide, Bernard Arnault à ses cadres réunis à Euro Disney lorsqu'on vient lui communiquer la nouvelle. François Pinault, propriétaire de la société de vente par correspondance, du Printemps ou de Conforama ­- racheté en 1991 à… Bernard Arnault - vient de prendre ce dernier par surprise. Le commerçant, self-made-man, vient défier le roi du luxe sur ses propres terres. De plus, outre Gucci, Pinault annonce dans la foulée le rachat d'Yves Saint Laurent, un dossier qu'Arnault avait évidemment étudié auparavant.

Jusque-là, sans être amis, les deux hommes entretenaient des relations cordiales. Le Breton avait invité le Nordiste au mariage de sa fille. Il l'avait même appelé début février 1999 pour le féliciter de son raid sur Gucci. Mais quand les dirigeants de la marque viennent le chercher comme chevalier blanc pour échapper aux griffes d'Arnault, le sens des affaires est le plus fort.

Dès lors, aucun moyen n'est de trop pour nourrir la guerre de tranchées. Celle-ci se déroule d'abord sur le terrain juridique. Bernard Arnault met les meilleurs juristes sur l'affaire et lance nombre de recours devant de multiples tribunaux pour faire condamner l'audace de François Pinault. La bataille des prétoires trouve une issue le 10 septembre 2001, à l'amiable. Par l'entremise d'Albert Frère, déjà, et de Jean-Marie Messier, après six mois de négociations houleuses, un accord est trouvé pour que Pinault rachète les parts minoritaires d'Arnault dans Gucci. Celui-ci s'en tire avec les honneurs d'avoir réalisé une belle plus-value dans l'affaire. C'est la fin de deux ans et demi de guérilla juridique, mais certainement pas la fin du conflit. Le baron belge propose alors un déjeuner de réconciliation, Arnault ne trouve pas de date à proposer avant plusieurs mois.

Choisir son camp

Depuis, la rivalité s'est reportée sur de multiples terrains. Sur celui des affaires, les deux hommes se lancent, après Gucci, dans une course aux acquisitions de nature à faire flamber les prix de maisons de luxe dont l'aura est parfois quelque peu ternie. Qu'importe, aucun nom ne doit manquer à cette course à la taille. Nouveau venu dans le secteur, Pinault rachète le joaillier Boucheron, la griffe de mode Balenciaga, le maroquinier Bottega Veneta, le chausseur Sergio Rossi. Après son échec sur Gucci, Arnault acquiert la petite marque florentine Pucci, puis le fourreur romain Fendi, dont il déclare vouloir faire « la plus belle marque italienne ». LVMH rachète aussi à l'époque les joailliers et horlogers TAG Heuer, Chaumet et Zenith. À chaque fois, les hommes de l'un se précipitent pour condamner les prix « exorbitants » auxquels les acquisitions de l'autre se sont effectuées. La rivalité entre les deux capitaines d'industrie se répercute à tout le microcosme qui doit choisir de quel côté se ranger. Ainsi, Anne Méaux, grande prêtresse de la communication du CAC 40, qui conseillait jusqu'en 1999 les deux hommes, doit abandonner la clientèle d'Arnault pour conserver celle de son ennemi.

Dans la presse, en particulier dans le quotidien économique La Tribune, alors propriété d'Arnault, chaque article est scruté afin d'y déceler des sources d'influence potentielles. Quand Arnault rachète Les Échos en 2007, une centaine de personnalités du monde des affaires et de la politique signent une pétition contre ce projet, parmi lesquelles François-Henri Pinault, fils de François, devenu président de PPR, Patricia Barbizet, directrice générale d'Artemis, le holding familial, Denis Olivennes, alors patron de la Fnac, filiale de PPR, ou Serge Weinberg, ancien président du groupe. La famille Pinault, elle, est propriétaire du Point.

Pendant ce temps, une analyste financière britannique, Claire Kent, est poursuivie en justice par le groupe de Bernard Arnault, qui l'accuse de publier des études biaisées favorables à Gucci parce qu'elle travaille pour Morgan Stanley, la banque derrière l'entrée de Pinault chez Gucci. L'affaire aboutira à un jugement de Salomon. On évoque même des méthodes plus occultes pour s'informer sur les intentions de l'un ou de l'autre, filatures, espionnage industriel et cambriolages mystérieux.

Dans des domaines annexes à leurs business principaux, Arnault et Pinault se marquent de très près. Le premier possède de nombreux champagnes, dont Moët & Chandon, Dom Pérignon ou Veuve Clicquot, mais aussi des très grands vins comme château d'Yquem et château Cheval Blanc. Pinault, lui, est propriétaire de château Latour. Surtout, l'affrontement des ego trouve un terrain fantastique dans l'art.

Acteurs incontournables

François Pinault est depuis 1998 propriétaire de Christie's, première maison de ventes mondiale. En 2000, Arnault achète Tajan, puis Phillips, troisième société d'enchères mondiale, qu'il finira par revendre un peu plus tard. Les deux amateurs se poursuivent jusque dans leurs collections personnelles. Pinault est l'un des plus grands collectionneurs français, en particulier d'art contemporain. Arnault, plus inspiré par le classique initialement, se met à acheter à son tour des Rothko, Warhol ou Basquiat. Leurs groupes respectifs rivalisent de mécénat pour soutenir les grandes expositions de Paris ou New York, autant d'occasions de démonstrations mondaines de leur puissance. Pour Pinault, la consécration est atteinte lors de l'inauguration de sa fondation au Palazzo Grassi à Venise en 2006, après l'abandon du projet rocambolesque de Boulogne-Billancourt. Arnault n'a pas dit son dernier mot : tout juste cinq mois plus tard, il dévoile son projet de Fondation Vuitton, au bois de Boulogne, à Paris, confié à l'un des plus prestigieux architectes mondiaux, Frank Gehry, qui doit voir le jour en 2010.

Depuis l'entrée de La Redoute dans le luxe, le roi de la mode a rejoint son rival dans les rayons moins glamour de la distribution grand public, en devenant actionnaire principal de Carrefour. De son côté, François Pinault a fait trembler l'establishment en faisant part de son intérêt pour Suez Environnement, alors même que Suez et Gaz de France peinaient alors à fusionner.

C'est aussi cela la symbolique de ce déjeuner entre ces deux hommes. L'un et l'autre sont devenus au fil des ans des acteurs incontournables du capitalisme français. En apportant son soutien à Lakshmi Mittal, François Pinault, l'ami de Jacques Chirac, a non seulement aidé la fusion entre Mittal et Arcelor, mais aussi redoré l'image de l'entrepreneur indien. Longtemps très discret, le patron de LVMH, un proche de Nicolas Sarkozy, n'hésite plus à s'engager sur des sujets qui dépassent son seul groupe. Il s'est ainsi fait remarquer en s'opposant au boycott des Jeux olympiques de Pékin. Cette émulation entre deux des plus grandes fortunes du pays aura ainsi aiguillonné la vie du capitalisme, des arts et des médias français. Que pourrait apporter une réconciliation durable ? La place aurait à redouter des coups communs entre les deux hommes.

 

http://www.lexpress.fr/culture/livre/grands-et-petits-secrets-du-monde-de-l-art_886582.html#KlyPRmX0vATZL7ea.99

21/04/2010, Catherine Lamour et Danièle Granet

C'est un théâtre où le secret règne en maître et où la discrétion est de rigueur ! Le délit d'initié y est recommandé, les règles n'y sont pas les mêmes qu'ailleurs, l'argent y coule à flots, et seulement une centaine de décideurs y font la pluie et le beau temps, décrétant quels sont les "bons artistes", les "bonnes toiles", les "bons acheteurs"... au point d'influencer les enchères, de faire et de défaire les cotes. Certes, la crise financière de 2009 a quelque peu changé la donne, mais le système n'est pas près de s'effondrer. Pour le décrypter, et décrire de l'intérieur cet univers nébuleux où tout le monde se connaît, deux journalistes indépendantes ont mené l'enquête pendant deux ans, de Shanghai à New York, de Miami à Berlin, de Londres à Venise en passant par Bâle. On se laisse volontiers entraîner dans leur sillage, pour pénétrer ce "pays des merveilles", à la fois fascinant et délirant, qui pèse pas moins de 50 milliards d'euros. Ci-dessous, la vérité sur les ventes aux enchères...

Les ventes aux enchères sont d'une simplicité trompeuse. Elles obéissent en réalité à des règles qui ne sont jamais clairement énoncées et grâce auxquelles les bonnes affaires restent souvent le domaine réservé des spécialistes. 

Il faut savoir lire le catalogue des ventes entre les lignes. Il indique une estimation haute et une estimation basse. Celles-ci ne doivent surtout pas être prises à la lettre, comme des évaluations d'experts donnant la valeur intrinsèque du lot. Elles peuvent être majorées ou minorées. Elles seront élevées si l'on a voulu encourager le propriétaire à confier son bien à la maison de ventes en lui faisant une offre "confortable" - voire l'inciter à donner l'ensemble d'une collection en lui promettant monts et merveilles. Elles seront basses, au contraire, si l'on a cherché à attirer les acheteurs en affichant des prix inférieurs à la valeur réelle des lots, des sommes qui seront bien évidemment corrigées lorsque les enchères monteront. Les maisons de ventes précisent d'ailleurs en petits caractères dans leurs catalogues que les estimations de prix de vente qui y figurent ne doivent pas être considérées comme mesurant la valeur du lot, ni être utilisées comme une référence pour d'autres négociations. 

Par ailleurs, le catalogue n'indique pas le "prix de réserve", c'est-à-dire celui en dessous duquel le vendeur n'est plus vendeur. Son montant, qui peut être très inférieur à l'estimation basse, n'est pas connu des acheteurs. Or le ballet des enchères commence souvent en deçà de ce prix, le jeu consistant à partir de très bas pour "chauffer" la salle. Si celle-ci est apathique, il n'est pas rare que le commissaire-priseur feigne de répondre à des enchères, même quand il n'y en a pas. Il n'a le droit de se livrer à cette "mise en jambes" que jusqu'au moment où le prix de réserve est atteint. Passé ce seuil, il est obligé de trouver de vrais enchérisseurs pour rester dans la légalité. Mais à ce moment-là il n'est pas rare que l'on se situe encore en dessous de l'estimation basse du catalogue, ce qu'ignorent bien souvent les acheteurs qui ont déposé des offres par écrit. Sans le vouloir, ceux-ci auront donc concouru quelquefois à faire monter le prix d'un lot au-dessus de ce qu'ils auraient pu obtenir en étant présents dans la salle. "Ça pimente le spectacle des ventes aux enchères, mais on ne peut pas dire que ça contribue à leur transparence", commente la journaliste spécialiste du marché de l'art Georgina Adam

Toujours dans le catalogue des ventes, des symboles très discrets, indéchiffrables pour le commun des acheteurs, indiquent que des offres fermes et définitives ont déjà été enregistrées sur tel ou tel lot. Elles peuvent prendre diverses formes, mais cela signifie, en clair, que les enchères sont déjà fixées à un prix très élevé, en dessous duquel aucun acheteur n'aura accès à l'oeuvre. En d'autres termes : amateurs s'abstenir ! Tous ces petits 

arrangements ne concernent que les professionnels, marchands, courtiers, galeries ou musées. Ainsi un tableau de Kazimir Malevitch, Suprematist Composition, a-t-il été vendu 60 millions de dollars à un mystérieux acheteur qui avait déposé son "offre irrévocable" à l'avance. On est presque là dans de la vente privée "de gré à gré", sauf qu'en réalité un troisième larron peut intervenir à la dernière minute pour surenchérir. Dans ce cas, il est fréquent que celui qui avait proposé l'offre ferme reçoive un dédommagement - un pourcentage du différentiel entre ce qu'il avait offert et ce que la maison de ventes a obtenu d'un tiers. 

L'acheteur occasionnel paie à la maison d'enchères une commission de 25 à 30 % TTC, qui vient s'ajouter au prix atteint par le lot au moment où le commissaire-priseur a abattu son marteau en criant "Vendu". Cette commission est divisée par deux si la valeur du lot est très élevée. Le vendeur est supposé, lui aussi, verser une commission - dégressive en fonction de la valeur des lots -, mais, bien souvent, la maison d'enchères l'en dispense pour qu'il soit incité à confier sa marchandise rare à elle plutôt qu'à une concurrente. Il peut même arriver que la commission versée par l'acheteur soit rétrocédée au vendeur, si bien que celui-ci aura finalement touché beaucoup plus que le prix affiché, alors que toutes les charges ont tendance à être transférées vers l'acheteur. Ce dernier, dans l'excitation des enchères, n'a pas toujours la présence d'esprit d'ajouter aux chiffres énoncés très rapidement par le commissaire-priseur les montants additionnels - commissions, TVA, droits d'auteur des artistes - qu'il devra débourser au moment de régler la facture. 

Mais la plus grande part d'ombre du monde des enchères concerne l'identité des acheteurs. Qui achète ? A quel prix ? Pour le compte de qui ? Les salles de ventes ne sont pas seulement le théâtre d'échanges entre des acheteurs et des vendeurs. Y sont aussi à l'oeuvre toutes sortes de stratégies de marketing, de soutien des cotes, de lancement de nouvelles modes, que le témoin inexpérimenté ne peut pas déceler. 

Ceux que l'on voit lever la main dans la salle sont rarement ceux à qui une oeuvre est destinée, surtout si elle est très chère. Lorsque l'enchère semble arriver par l'un des multiples téléphones alignés autour desquels s'activent les assistants du commissaire-priseur, il n'est pas certain qu'il y ait vraiment quelqu'un au bout du fil. L'enchère a pu être déposée à l'avance, ou bien elle peut venir d'une des loges vitrées surplombant la salle, où les acheteurs les plus importants ont la possibilité de suivre le déroulement des opérations sans se montrer. Résultat de cet anonymat très protégé, notamment pour des raisons de sécurité : même quand les enchères ont lieu au vu et au su de tout le monde, il est souvent impossible de savoir qui sont les acquéreurs des oeuvres les plus coûteuses. 

"Jusqu'à il y a peu, raconte encore Georgina Adam, les dirigeants des maisons d'enchères savaient en général à l'avance qui allait enchérir sur les pièces les plus chères et où ces acheteurs seraient situés dans la salle. Avec l'arrivée de nombreux acheteurs de pays émergents comme la Chine ou la Russie, les maisons 

d'enchères connaissent bien des surprises. La plus célèbre est la vente, en 2006, du Picasso de 1941, Dora Maar au chat, pour lequel un acheteur dissimulé au milieu de l'auditorium de Sotheby's a lancé une enchère totalement inattendue de 92,5 millions de dollars. Personne ne sait de façon certaine de qui il s'agit, sans doute d'un Russe ou d'un Ukrainien. Ce qui montre bien que même ceux qui travaillent là ne savent pas toujours ce que cache le rideau de fumée qui entoure les salles des ventes et leurs miroirs aux alouettes." 

Les nouveaux collectionneurs assis sur des fortunes récentes, les néophytes du commerce de l'art, se trouvent plus à l'aise pour dépenser leur argent dans l'anonymat d'une salle de ventes que dans les galeries, où ils hésitent à se mesurer directement aux poids lourds de la profession. Dans ce lieu où les prix sont affichés, où l'on exprime son intérêt pour une oeuvre simplement en levant la main, où l'on peut suivre en direct les transactions, ils pensent être à l'abri des manoeuvres tortueuses de certains grands marchands - ceux qui choisissent les clients auxquels ils veulent bien vendre, voire les inscrivent sur des "listes d'attente". 

Cette prétendue transparence est illusoire, mais elle a une conséquence très importante. Jusqu'au début des années 1980, 70 % du chiffre d'affaires des maisons de ventes se faisait avec les marchands, le reste avec les musées et des particuliers. La proportion s'est inversée avec l'euphorie financière : collectionneurs et particuliers représentent désormais 60 % de la clientèle des grandes maisons d'enchères. Celles-ci voient leur position et leur pouvoir de négociation vis-à-vis des galeries et des marchands considérablement renforcés. Et leurs relations sont devenues plus conflictuelles. 

Les géants du monde des enchères : Christie's et Sotheby's 

La rivalité entre Christie's et Sotheby's a été l'un des facteurs de l'explosion des prix dans le domaine de l'art. A elles deux, ces maisons séculaires contrôlent environ 80 % du marché mondial des ventes aux enchères d'objets d'art. Ce système de ventes ne représente pas, tant s'en faut, la majorité des transactions qui ont lieu dans ce secteur. Mais il sert de référence pour la fixation des prix des oeuvres et de la cote des artistes. Si, dans l'une de leurs grandes ventes du printemps ou de l'automne, à Londres ou à New York, un peintre ou un créateur bat le record de prix qu'il avait atteint auparavant et entre dans la catégorie des "cent premiers prix atteints dans l'année aux enchères", sa carrière est faite. Ainsi que celle de son marchand ou de la galerie qui le représente. 

Petites maisons de ventes anglaises traditionnelles en activité depuis deux siècles, Sotheby's et Christie's ont ouvert des bureaux à New York au milieu des années 1960. A l'époque, on les décrivait ainsi par dérision : "Sotheby's, ce sont des gens de business qui prétendent être des gentlemen. Christie's, ce sont des gentlemen qui prétendent faire du business." 

Vingt ans plus tard, l'une et l'autre se trouvent au bord de la faillite, frappées par la récession mondiale du début des années 1980. Sotheby's est rachetée par un géant américain des centres commerciaux, A. Alfred Taubman, et François Pinault reprend Christie's en 1989. A l'époque, on pense que l'homme d'affaires français a agi par caprice et s'est offert une danseuse. En réalité, lui et son homologue américain ont tout simplement flairé l'émergence d'un nouveau marché, et pris des positions à un moment où les cours de l'art étaient à la baisse. Leur objectif est d'en faire des centres de profit. 

Dès lors, tout est organisé pour occuper le coeur du marché. Les ventes du printemps et de l'automne à New York et à Londres deviennent de véritables shows. Elles sont précédées d'expositions ouvertes aux visiteurs, qui peuvent y admirer gratuitement des oeuvres de toute première qualité. Une occasion unique puisque, après la vente, elles disparaîtront chez leurs nouveaux acquéreurs, pour toujours peut-être. C'est plus excitant que d'aller dans un musée. Les catalogues, très étoffés, deviennent peu à peu de vrais livres d'art, rédigés par des experts célèbres. Ils ne se contentent plus de montrer les objets ; ils racontent leur histoire, c'est-à-dire celle des familles qui les ont possédés et la manière dont ils ont été transmis d'un propriétaire à un autre. C'est souvent romanesque. Les catalogues des grandes ventes, comme celles de Saint Laurent à Paris ou de Damien Hirst à Londres, deviennent eux-mêmes des collectors. 

Un mois avant la vente, une sélection des oeuvres majeures qui seront mises aux enchères est emballée dans des caisses sécurisées et part faire un highlight tour - un tour du monde par avion qui passe par Londres, Dubaï, Hong Kong, New York, parfois même Zurich, Düsseldorf ou Paris. Il s'agit de motiver les grands collectionneurs en organisant dans chaque ville une réception très privée où ils se doivent d'être vus. Frais de transport, d'assurance et de représentation font partie du budget de développement des deux grandes maisons. 

A ce niveau d'investissement, aucun grand marchand d'art ne peut suivre. C'est une stratégie de contrôle du marché. Face aux dépenses, les recettes. Chaque département, quelle que soit sa spécialité - art moderne, art contemporain, bijoux, art ancien ou autre -, a des objectifs annuels chiffrés à atteindre, comme dans n'importe quelle entreprise industrielle. Chaque responsable est tenu de se constituer une clientèle, et surtout de ne pas "lâcher" le client. Avant une grande vente, les responsables concernés sont réunis par leurs directeurs et interrogés sur les acheteurs potentiels des oeuvres dont ils ont la charge. C'est là aussi, dans le secret de la war room, que quelques dirigeants triés sur le volet décident du montant des garanties qui seront consenties aux vendeurs des cinq ou six lots les plus importants. 

Les garanties : c'est le nerf de la guerre et le talon d'Achille des grandes maisons de ventes aux enchères. Ce système leur a permis de distancer tous leurs concurrents potentiels, mais il les a aussi fragilisées à l'extrême. Pour se voir confier la vente des plus beaux Matisse, des plus grands Picasso et d'autres oeuvres rares, ces maisons avaient mis en place, avant la crise financière de l'automne 2008, des garanties de prix. Le vendeur qui confiait une oeuvre majeure à Sotheby's ou à Christie's était assuré d'en obtenir une somme convenue à l'avance. Si les enchères n'atteignaient pas ce montant, c'était la maison de ventes qui payait la différence. Si, à l'inverse, le résultat était supérieur à la garantie, il était d'usage que le vendeur et la maison d'enchères se partagent le bonus à 50-50. Un jeu très dangereux, car la concurrence acharnée entre Sotheby's et Christie's les a incitées toutes deux à augmenter sans cesse le montant des garanties. Ce processus inflationniste a été aggravé par l'intervention d'autres joueurs, qui ont essayé de s'immiscer dans la cour des grands en faisant à leur tour des offres mirobolantes, voire déraisonnables. 

Rival notoire de François Pinault dans l'univers du luxe, Bernard Arnault, propriétaire du groupe LVMH, avait un temps décidé de le défier sur un autre terrain de jeu, celui du marché de l'art. Il avait acheté la maison d'enchères Phillips, dont il avait confié la direction à un bateleur de génie, le commissaire-priseur Simon de Pury. Devenue Phillips de Pury & Luxembourg, troisième plus importante maison de ventes du monde, la société s'est lancée dans une surenchère meurtrière. Sa stratégie était d'organiser des ventes de prestige qui attireraient à elle de nouveaux clients et lui permettraient de faire sa place. Vincent Noce, journaliste à Libération, a raconté qu'en 2001 Phillips a proposé, à New York, une garantie de 170 millions de dollars (122 millions d'euros) à un client dont la collection valait la moitié de cette somme. En octobre 2008, ce système de garanties a fait perdre 15 millions de dollars (10,8 millions d'euros) à Sotheby's : la maison de ventes avait pris des engagements sur 60 millions fermes (43 millions d'euros). Or nombre d'oeuvres, lors des ventes très décevantes de Hong Kong et de Londres, qui ont donné le signal de la crise dans le marché de l'art, n'ont pas trouvé preneur. 

 

http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/191013/pinault-un-epieu-dans-le-flanc-de-la-culture

Pinault, un épieu dans le flanc de la culture

 |  PAR ANTOINE PERRAUD

François Pinault bénéficie d'un espace gratuit dans la plus grande salle gothique d'Europe, la Conciergerie, à Paris, pour y faire grimper la cote de sa collection sous prétexte d'édifier le public : l'exposition A triple tour y ouvre ses portes lundi. Un monument de cupidité travesti en mécénat...

A la Biennale de Venise, en 2005, dans le pavillon allemand, le visiteur était accueilli par des nymphettes provocatrices, qui répétaient en boucle : « It's so contemporary, so contemporary ! » Sous couvert d'ironie critique, c'était là un clin d'œil aux initiés, confortés dans leur précieux entre-soi : être moqués, n'est-ce pas recevoir la confirmation que nous en sommes ?... Aujourd'hui, un documentaire gonflé, qui vaut le détour, obéit à la démarche inverse : prendre à rebrousse-plume tous les faisans obsédés par la modernité. La Ruée vers l'art ose mettre en scène deux enquêtrices d'âge mûr, Danièle Granet et Catherine Lamour, qui payent de leur personne ...

 

http://culturevisuelle.org/luciddreams/archives/454

Les journalistes Danièle Granet et Catherine Lamour nous rappellent qu’elles sont comme nous; des touristes… rien ne rique de susciter des émois profond dans ce monde exotique.
Voilà un bel exemple de documentaire qui passe à côté de son sujet et verse lui-même dans le ridicule qu’il cherche apparemment à dénoncer : la falsification de la création artistique et la spéculation irrationnelle : c’est une fausse enquête sur un faux Art… c’est, au fond, un bon moyen de renforcer la dimension spectaculaire de ce marché, et donc sa puissance spéculative qui repose entièrement sur le spectacle de l’Art.

Ainsi, le rôle des institutions publiques (et des fonds publics) dans le processus de valorisation des collections privées, Jeff Koons à Versailles ou la collection Pinault à la conciergerie, n’est pas abordé, alors que c’est semble-t-il un élément important du système de création de la valeur marchande des oeuvres. Les relations entre la reconnaissance instituée par le marché et la reconnaissance instituée par les institutions culturelles sont savamment passées sous silence, établissant une sorte de séparation imaginaire entre le monde de la spéculation des collectionneurs privés, qu’il faudrait considérer comme artificiel, et celui des critiques, des historiens de l’Art et des curateurs institutionnels, protégés du marché… Dans ce documentaire, la seule valeur évoquée est celle que des collectionneurs narcissiques et peu cultivés, des néo-riches, prêtent à des artistes filous oeuvrant à la tête d’ateliers qui sont en réalité des usines (factories) (Yuan Chang qui fait travailler près de deux cents personnes…). Il aurait été intéressant d’interroger ce que le renforcement de la spéculation financière à partir des oeuvres d’Art avait changé dans le processus de création de la valeur symbolique des oeuvres, et quel rôle jouent les critiques et historiens de l’Art dans ce processus, or aucun d’entre eux n’est rencontré, et aucune analyse ne vient aborder cette imbrication entre institution culturelle et marché de l’Art, c’est-à-dire entre argent public et fonds privés. La première est bien oubliée quand l’autre est juste moquée… On ne parle que de prix mais pas de valeur…

Autre oubli très important ; les dispositifs légaux de défiscalisation ne sont jamais abordés, alors que le marché de l’art, en dehors de ses hautes sphères, est aussi largement nourri par des enjeux fiscaux et à un niveau bien plus commun que celui des gands collectionneurs… Aborder le marché de l’Art sans évoquer, en France, l’exclusion des oeuvres d’Art de l’ISF, introduite par Laurent Fabius à sa création, et maintenue par Aurélie Filipetti, est un peu léger quand on est journaliste et qu’on prétend enquêter sur ce marché… C’est, de l’aveu des différents ministres de la culture qui ont eu à la défendre (Frédéric Mitterrand en 2011), la garantie du maintien de Paris comme quatrième place sur le marché… et une composante de l’exception culturelle française… et une aubaine fiscale pour des fortunes plus ou moins grandes… Y a-t-il des dispositifs semblables dans les autres pays ?

 

SOTHEBY'S

12 2013 http://blogs.lesechos.fr/judith-benhamou-huet/quand-l-ex-patron-de-de-l-art-contemporain-de-sotheby-s-racontait-sa-a13860.html

Alors que la foire ArtBasel Miami ouvre cette semaine avec la folie de superficialité associée à ce lieu, même si elle donne l’occasion, aussi, de voir de l’art, du vrai, on peut réfléchir à l’importance des hommes et de leurs stratégies dans l’actuelle valorisation de l’art contemporain. 
Dans le combat d’enchères que se mènent Christie’s et Sotheby’s les résultats varient d’un domaine à l’autre et d’une saison à l’autre. Mais cette fois, en novembre – voire les blogs précédents- lors des ventes d’art contemporain à New York la faveur revenait de manière spectaculaire à Christie’s dont le patron est Brett Gorvy face à Sotheby’s dont le patron « était » Tobias Meyer. Je dis « étais » car il a depuis lors démissionné. 
J’avais réalisé une interview de ce dernier il y a trois ans qui montre bien les mécanismes qui régissent aujourd’hui le marché de l’art contemporain et comment Tobias Meyer n’y est pas étranger. Avec un des carnets d’adresses les plus importants de la planète il va certainement faire du « private deal » comme beaucoup d’autres opérateurs . En 2010 il déclarait que sa vie lui convenait. Mais j’entendais déjà à l’époque derrière ses silences des envies lorsqu’il parlait de certaines personnes « à leur compte ».

Extraits :

"Etudes d’art
A 18 ans j’ai suivi des cours chez Christie’s à Londres. Le premier jour ils faisaient des tests pour connaître votre niveau de connaissance. J’ai été convoqué par le directeur de l’institut. Il m’a demandé « vous êtes qui ? ». J’avais donné tous les détails sur un objet précis, les conditions de sa vente etc…J’avais toujours voulu travailler dans une salle de ventes. J’ai poursuivi des études d’histoire de l’art à Vienne et à 26 ans je suis entré chez Christie’s d’abord au département horlogerie puis art contemporain. Car les arts décoratifs, je le sentais , n’étaient pas un sujet assez substantiel. C’était intellectuellement limité.

Orange Marilyn
L’art contemporain n’était pas encore célébré comme il l’est aujourd’hui. Je suis arrivé à la tête du département à New York. La patronne de Sotheby’s de l’époque Dee Dee Brooks me disait même : « alors qui va acheter ces merdes ? » en parlant de l’art contemporain. En 1998 j’ai présenté aux enchères une « Orange Marylin » par Andy Warhol. Le record pour Warhol à l’époque c’était 4 millions de dollars. Elle a atteint 17,5 millions. C’était époustouflant. Aucune autre œuvre d’art contemporain n’avait jamais atteint un tel prix. Et puis les gens ont commencé à m’écouter. Personne ne me connaissait mais on a commencé à s’intéresser à moi. Ils ont réalisé que si j’aime quelque chose je le rends cher.

Rendre cher
J’ai fait une campagne marketing. J’ai changé le format du catalogue pour qu’il corresponde au format du tableau. J’ai mis en valeur le nom : Warhol. Car ils achètent un Warhol pas un Andy Warhol. J’ai mis en exergue les images parce qu’ils sont fascinés par les images. C’est le pouvoir visuel.

Rothko : une nouvelle étape
Et puis l’autre grande étape c’était en 2007 le Rothko qui appartenait à David Rockfeller adjugé à plus de 72 millions de dollars. Le collectionneur traditionnel de Rothko achète des tableaux de l’angoisse , sombres. Le tableau que je proposais était différent . « White center » s’adressait à un autre public. Il était beau et gai. J’ai fait un catalogue avec une seule illustration. Un objet précieux et je l’ai envoyé à 200 des plus gros collectionneurs du monde. 
Entre temps j’ai réalisé beaucoup de ventes, des gros prix. Je me suis installé en tant que personne qui compte dans ce monde de collectionneurs. Dans un monde de compétition aigüe pour obtenir des œuvres.

Excitation
L’excitation vient lorsque je vois de l’art exceptionnel. Mais j’aime aussi le profit. Je n’ai pas besoin de la moralité du musée. J’aime faire de l’argent.

Etre commissaire-priseur
Tenir le marteau, j’adore ça. C’est addictif. A l’origine je ne voulais pas le devenir. On m’a dit « tu es grand, tu as une voix, tu devrais le devenir ». Tu deviens quelqu’un d’autre face à une audience. Et puis cela a à voir avec ma mémoire visuelle. J’ai un instinct , comme un peu celui d’un chasseur, qui me fais sentir qui va enchérir. C’est une question de « body langage ». Je suis un chasseur dans le sens commercial du terme. "

 

http://www.capital.fr/enquetes/hommes-et-affaires/guillaume-cerutti-pdg-de-sotheby-s-france-est-passe-maitre-dans-le-business-de-l-art-586707

Sotheby’s France 2011 / 2014

Ex des Finances, puis de la Culture, cet énarque de 44 ans veut faire de la filiale de la célèbre maison anglaise le leader des marchands d'art.

Guillaume Cerutti ne boude pas son plaisir : au printemps prochain, la loi réformant le marché de l’art devrait enfin être votée. En alignant la réglementation française sur les standards internationaux, elle devrait permettre à la place de Paris de se battre à armes un peu plus égales avec les maisons d’enchères londoniennes et new-yorkaises, qui s’arrogent aujourd’hui les plus belles ventes. «Je suis ravi d’avoir pu mettre mes modestes réseaux au service de la profession», explique avec un petit sourire le patron de Sotheby’s France.

Lobbyiste et gestionnaire. La maison anglaise ne peut que se féliciter d’être allée chercher cet énarque, issu du sérail politico-culturel, pour diriger sa filiale française. Outre ses talents de lobbyiste, l’homme a montré de vraies qualités de manager. Alors que Sotheby’s France n’était que la numéro 4 du marché tricolore à son arrivée, en 2007, elle est aujourd’hui au coude à coude avec Christie’s pour la place de leader, grâce à un chiffre d’affaires historique de 175 millions d’euros l’an dernier.

Pour réussir ce coup de maître, Guillaume Cerutti a dû transformer en profondeur la vénérable maison. Il a ainsi recruté une vingtaine de nouveaux collaborateurs, débauchant notamment deux piliers de chez Christie’s. Des stars de l’expertise qui possèdent par ailleurs des relations privilégiées avec les plus grands acheteurs de la planète… «Nous sommes allés prendre les meilleurs là où ils se trouvaient», se félicite ce père de deux enfants, à l’élégance discrète, qui nous reçoit au siège, dans un très chic hôtel particulier situé à deux pas du ministère de l’Intérieur.

Le jeune président – il n’a que 44 ans – a également transmis à ses troupes une nouvelle culture de l’efficacité. «Guillaume est un énorme bosseur qui ne supporte pas l’indécision, souligne Grégoire Billault, vice-président de Sotheby’s France. A la fin de chaque réunion, il veut des solutions et un planning.» Ce qui ne l’empêche pas d’être proche de ses collaborateurs. Lesquels, au lendemain de la récente défaite de l’OM contre le PSG, se sont fait un malin plaisir de lui déposer «L’Equipe» sur son bureau : le patron est en effet un fervent supporter des Marseillais. Une passion qui remonte à l’enfance.

Des Finances au centre Pompidou. Né à La Ciotat dans une famille d’exploitants agricoles, Guillaume Cerutti est le parfait exemple de la méritocratie républicaine. «J’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont toujours poussé à faire des études», explique-t-il humblement. Bac en poche à 17 ans, il monte à Paris pour faire Sciences po, puis l’ENA. Diplômé en 1991, il intègre le prestigieux corps de l’Inspection des finances, où il passe quatre années, avant de prendre la direction du centre Pompidou, dont Jean-Jacques Aillagon est alors le président. «A l’époque, son choix a étonné, car il avait plutôt le profil pour prétendre à un haut poste dans l’industrie ou dans la banque», se souvient Frédéric Oudéa, PDG de la Société générale. Les deux hommes ont longtemps joué ensemble dans l’équipe de foot des anciens de l’ENA, dont Cerutti était l’attaquant de pointe, «plus physique que technique», tacle gentiment Oudéa.

Coauteur de la loi sur le mécenat. En 2002, Jean-Jacques Aillagon est nommé ministre de la Culture et c’est tout naturellement qu’il propose à son second de devenir son directeur de cabinet. «C’est un animateur d’équipe exceptionnel et un homme d’une grande loyauté», souligne l’ancien ministre, aujourd’hui président du château de Versailles. «La première année au ministère, ce fut l’état de grâce. La deuxième, la descente aux enfers», se rappelle Guillaume Cerutti. Allusion à l’interminable conflit avec les intermittents du spectacle et à la défaite de la droite aux régionales de 2004, qui aboutira à l’éviction brutale d’Aillagon et de son bras droit. Une aventure de courte durée, qui aura néanmoins permis au duo de faire adopter la loi sur le mécénat, si précieuse pour le financement des musées.

Le privé, un nouveau challenge. Après une courte pause, le Marseillais rebondit à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qu’il dirigera pendant trois ans, en supervisant notamment la fusion Canal Plus/TPS et la réforme de la loi Galland sur les relations entre fournisseurs et industriels. Chassé par Sotheby’s France, il n’hésite pas une seconde à quitter le service de l’Etat. «Ce qui m’intéresse, c’est de relever des challenges et d’être utile, déclare-t-il. Qu’importe si c’est dans le public ou le privé : je ne vois pas de différence.» Sur la fiche de paye, un peu quand même…

Aujourd’hui, cet amoureux de Berlioz n’a qu’une obsession : pousser crescendo l’aura de Sotheby’s France. «Arrêtons l’hypocrisie, s’emporte un commissaire-priseur d’une maison de vente concurrente. Sotheby’s comme Christie’s pillent notre patrimoine national en vendant à l’étranger deux à trois fois plus d’œuvres françaises qu’elles n’en proposent à Paris.» Guillaume Cerutti botte en touche : «Ce sont les propriétaires qui nous le demandent.» Pour tirer le meilleur prix de leurs trésors, les plus gros collectionneurs résidant en majorité dans les pays anglo-saxons. «Business first», dans l’art comme ailleurs…

Emmanuel Botta

 

Patron de Sotheby's

http://www.lexpress.fr/infos/pers/alfred-taubman.html

http://lexpansion.lexpress.fr/entreprises/sotheby-s-en-passe-d-etre-vendue_1366903.html#wUYQhLGRg2vqtPKb.99

2001 Bernard Arnault pourra-t-il s?emparer de Sotheby's, l?un des deux géants mondiaux avec Christie's (groupe Pinault) de la vente aux enchères ? L?hypothèse désormais évoquée par certains analystes du marché de l?art est d?autant plus plausible que le conseil d?administration de la maison d?origine britannique vient de solliciter son comité exécutif afin qu?il rencontre au plus vite le milliardaire américain Alfred Taubman, actionnaire majoritaire et propriétaire de 23,9% du capital et 63% des droits de vote. L?idée étant d?envisager une cession du groupe dans les plus brefs délais. Or, parmi les repreneurs potentiels, figure notamment Bernard Arnault, détenteur de Phillips, le numéro trois de la vente aux enchères.  

Sur le fond, Sotheby?s connaît une actualité pour le moins délicate puisqu?Alfred Taubman vient d?être reconnu coupable par la justice américaine d?entente illégale avec son concurrent Christie?s. Ce dernier, qui risque jusqu?à trois ans de prison ferme, a en fait conspiré avec son homologue de chez Christie?s afin d?élever le niveau des commissions prélevées sur chaque vente. Le tout portant sur quelque 400 millions de dollars. Pour l?heure, l?affaire " Taubman " a contraint Sotheby?s à provisionner 203 millions de dollars pour couvrir les frais judiciaires et une partie du préjudice.

En savoir plus sur http://lexpansion.lexpress.fr/entreprises/le-patron-de-sotheby-s-pret-a-vendre-ses-parts_1395061.html#Yey02tqlqrmS5BUF.99

 2002 Alfred Taubman, le patron de Sotheby's, l'une des deux plus grandes maisons de ventes aux enchères, cherche à écouler ses parts, sous la pression judiciaire. Il dispose de 63% des droits de vote. Il y a six semaines, le milliardaire américain a été condamné à un an de prison ferme et 7,5 millions de dollars d'amende pour entente illégale sur les commissions avec la société concurrente, Christie's. La vente des quelque 13 millions d'actions pourrait s'étager sur plusieurs mois. 
http://fr.wikipedia.org/wiki/Sotheby's

Les années 1980 sont marquées par plusieurs ventes historiques dont les résultats sont largement relayés dans la presse. Leur caractère théâtral marque les esprits : en 1987, la vente des joyaux de la Duchesse de Windsor totalise 50 M $, soit cinq fois les prévisions les plus élevées de Sotheby's. Alors que l'entreprise fait l'objet d'une offre publique d'achat hostile, courante dans les années 80, par deux investisseurs, Alfred Taubman, homme d'affaire américain et philanthrope, constitua Sotheby's Holding Inc. pour racheter auprès du public le 9 novembre 1983, avec l'accord de ses dirigeants, la totalité des actions de Sotheby Parke Bernet Groupe Plc. Cinq ans plus tard, en 1988, forte de ses nombreux succès, la société s'ouvre pour la seconde fois à l'actionnariat public. La société grandit et développe son marché à Londres et à New York, elle réaménage ses espaces d’exposition, qui prennent une ampleur remarquée.

En 2000, William F. Ruprecht prend la tête de la société1, qui concentre son attention sur le haut du marché et développe sa clientèle à travers le monde. C'est chez Sotheby's qu'on été établis les records du monde aux enchères pour une peinture, une sculpture ou encore l'œuvre d'un artiste vivant.

En 1967, Sotheby's ouvre des bureaux à Paris et à Monaco. La loi interdisant aux sociétés internationales d’organiser des ventes aux enchères en France, Peter Wilson déplace la salle des ventes à Monaco, enclave internationale non soumise à la législation française. À compter de 1975 et de la vente Redé-Rothschild, Monaco devient un haut lieu de ventes aux enchères, du mobilier français XVIIIe à l'art décoratif.

En 1991, nommée présidente de Sotheby's France, Laure de Beauvau Craon10 se donne pour mission d'internationaliser le marché français des ventes aux enchères en attaquant le monopole des commissaires-priseurs vieux de plus de quatre siècles11. Sous la pression constante de Sotheby's mais aussi d'autres acteurs du monde des enchères, la loi mettant fin à ce monopole est adoptée en juillet 2000 et Sotheby's reçoit du Conseil des Ventes le premier numéro d'agrément (n°2001-002)12 délivré en France à une société étrangère.

Depuis septembre 2007, Sotheby’s France est dirigée par Guillaume Cerutti17, Président-directeur général de Sotheby’s, qui avait joué un rôle décisif dans la préparation des lois de 2002 et 2003 de réforme du mécénat des entreprises dans le domaine artistique18.

 Christie's

Détenu par François Pinault, http://fr.wikipedia.org/wiki/François_Pinault

http://fr.wikipedia.org/wiki/Christie's

Christie's a rapidement acquis la réputation de mener à bien les plus grandes ventes aux enchères desxviiie et xixe siècles. Durant cette période, Christie's vend régulièrement aux enchères (pour des montants significatifs) l'héritage national du Royaume-Uni, y compris des objets confiés par des membres de l'aristocratie et même de la famille royale britannique.

Cotée en bourse à Londres de 1973 à 1999, Christie's est devenue, en 1995, la première société internationale de ventes aux enchères à exposer des œuvres d'art à Pékin. Christie's est le grand rival de Sotheby's pour la prééminence mondiale en matière de ventes aux enchères prestigieuses.

En juin 1998François Pinault, industriel grand collectionneur et amateur d'art, rachète Christie's.

 

http://benedictekibler.wordpress.com/2010/08/22/l’art-contemporain-luttes-dinfluence-12/

L’art contemporain : luttes d’influence (1/2)

22 août 2010

« Si vous voulez savoir qui a le pouvoir,
voyez pour qui travaillent les artistes ! »
Francis Ford Coppola

Autrefois, l’intelligentsia influençait le marché de l’art

Le génie artistiqueL’Eglise, puis les cours royales d’Europe, détentrices du savoir et des richesses, étaient les commanditaires de la création artistique. Puis avec la révolution industrielle, il y a eu séparation entre ceux qui détenaient un savoir (aristocratique) et ceux qui produisaient de la richesse (la bourgeoisie). Les uns, en quête de capital économique, se mêlaient aux autres, en quête de capital symbolique (prestige, honneurs etc…)

Sur le marché de l’art, c’était pareil : toute une intelligentsia, les conseillers, les directeurs de galerie, critiques, historiens, experts (reconnus comme tels…) directeurs de musée, etc… étaient porteurs d’une autorité symbolique. Détenteurs du savoir, ils étaient les gardiens, les évangélistes des qualités esthétiques. Ils confortaient la croyance collective en la valeur de l’art qui est le moteur du marché. Ce faisant, ils génèraient de la confiance et les repères collectifs indispensables au bon fonctionnement du marché. Ils permettaient aux collectionneurs de prendre des décisions. Quand un expert reconnu comme tel, faisait une estimation, son autorité symbolique transformait des valeurs symboliques en valeurs sonnantes et trébuchantes : l’inestimable était transformé en cotation.

Comment l’intelligentsia a perdu la bataille de l’influence

des oeuvres hermétiques, des discours absconsAu vu du décalage entre les goûts du public non cultivé et les pratiques élitistes de l’art contemporain, l’intelligentsia avait imaginé qu’en démocratisant l’art et en faisant de la pédagogie, les masses deviendraient des inconditionnels de l’art contemporain. Ils espéraient ainsi élargir leur sphère d’influence.

C’est le contraire qui arriva. Les masses n’ont pas fait preuve de révérence, ni de respect. Au contraire, le public a pris la parole et a critiqué ce qu’il a pris pour une imposture ou une escroquerie. Puis il est allé voir ailleurs, dans l’indifférence totale. La fracture culturelle était consommée et l’intelligentsia perdait toute son autorité à mesure que les subsides de l’Etat diminuaient. L’art contemporain entrait dans une crise de légitimité.

Redistribution de l’autorité symbolique et donc de l’influence

l'art bling-bling d'aujourd'huiDepuis les années 80, il suffit que la côte d’un artiste monte pour qu’il trouve une légitimation aux yeux des investisseurs. Il y a un changement dans les croyances collectives, et le processus de légitimation ne passe plus par la critique. Les spéculateurs décident de se servir de leur puissance financière pour faire monter les cotes. Et les autres spéculateurs suivent le mouvement, cherchant à surfer sur les vagues ascendantes. L’exemple le plus évident est celui de Jeff Koons, qui est devenu en 2008 l’artiste le plus cher du monde, alors qu’il est boudé par la critique…

Le marché bling-bling marginalise le marché des connaisseurs

Le marché bling-bling (Jeff Koons, Murakami et autres…) comparé avec les performances du marché des actions (très mauvaises depuis 10 ans), apparaît comme une valeur refuge. Du coup, tous les parvenus du monde entier, nouveaux riches, incultes et arrogants, affluent et font monter les cotations. A côté, le marché des connaisseurs, soutenu par des collectionneurs plus raisonnables, plus cultivés et sans doute moins fortunés, fait pale figure et se voit donc marginalisé. La seule croyance collective qui reste, c’est la croyance dans le marché lui-même. Jusqu’à quand cette absurdité perdurera-t-elle ?

 

 

http://benedictekibler.wordpress.com/2010/08/25/l’art-contemporain-luttes-d’influence-22/

L’art contemporain : luttes d’influence (2/2)

25 août 2010

Investir dans l’art contemporain,
c’est tester son pouvoir d’influence
Chronique d’une stratégie d’influence réussie : François Pinault

En 2001, François Pinault achetait pour 12 millions de Francs une sculpture monumentale de Jeff Koons (Split-Rocker). En 2008, une œuvre semblable (Balloon Flower) se vendait pour plus de 16 millions d’Euros. Jeff Koons était devenu l’artiste le plus cher de la planète.

1. Neutralisation des médias

Influence par la séductionFrançois Pinault, milliardaire, possède plusieurs sociétés multinationales du luxe et à ce titre, il fait la pluie et le beau temps sur tous les magazines de mode et sur la presse féminine (soit en tant que propriétaire, soit en tant qu’annonceur). Il est le propriétaire du Journal Le Point. Autant dire que vous ne trouverez dans ces revues aucune critique concernant les œuvres de sa collection.

2. Neutralisation des institutions publiques :

Jacques Chirac, invité au mariage du fils de François PinaultAmi personnel de Jacques Chirac, il lui est très facile d’obtenir des expositions dans les endroits prestigieux du patrimoine français et étranger. D’où ces expositions à Versailles censées donner une légitimité à ses artistes. Monsieur Aillagon, ancien directeur de collection de François Pinault avait été nommé Ministre de la Culture. Même s’il se défendait de mélanger les intérêts de François Pinault avec ceux de l’Etat français, la collusion était évidente.

3. Neutralisation de la critique

neutralisation des connaisseursMarginalisés par le déclin de l’Etat et par l’indifférence du grand public face à des discours abscons et des œuvres qui suscitent souvent la consternation, les critiques d’art et les professionnels traditionnels de ce marché ne font plus le poids, d’autant que les médias ne les soutiennent plus vraiment. Les acteurs de la médiation culturelle deviennent invisibles.

4. Les éminences grises qui le conseillent : les analystes de marché

InfluenceEn faisant l’acquisition de Christies’s, il a accès à toutes les informations sur le marché de l’art et sait utiliser les conseils avisés des experts du marché qui travaillent pour lui. Les critiques d’art traditionnels, qui autrefois prenaient la défense de certains artistes, agissaient par conviction et non par calcul. Mais leur lyrisme n’émeut pas François Pinault qui leur préfère les analystes du marché. N’oublions pas que François Pinault a débuté en spéculant sur le sucre et que son artiste préféré Jeff Koons est un ancien trader… Donc les spéculateurs préfèrent suivre un spéculateur qu’ils considèrent comme avisé, plutôt qu’un critique enflammé… C’est assez bien vu.

5. Confiance, autorité symbolique

autorité symboliqueUn homme qui a du flair dans les affaires est-il forcément un visionnaire en art ? Seuls les sots le croient. Pourtant sa réussite financière lui octroie automatiquement une autorité symbolique auprès de ceux qui croient dans le marché. En utilisant l’autorité symbolique que sa fortune lui donne, il fait fructifier son patrimoine (puisque les autres spéculateurs le suivent, la cote de ses artistes augmente). Autrement dit, il s’enrichit parce qu’il est riche…

6. Soutien des cotations

soutien des cotes par le financement d'événements prestigieuxM. Pinault investit dans le Palais Grazzi à Venise pour y exposer ses collections, dans des fondations pour soutenir les artistes dits émergents. Son pouvoir d’influence est tel que ses artistes sont exposés avec complaisance dans les musées les plus prestigieux du monde.

Lorsque Monsieur François Pinault achète un gros chien géant à son artiste favori, c’est comme s’il disait au monde : « Je dis que ceci vaut x millions de dollars, et ça les vaut parce que c’est moi qui le dit ! La preuve que j’ai raison, c’est que le marché suit et que par conséquent cette œuvre va contribuer à m’enrichir encore plus… !! (grâce aux plus-values que je fais…) Et comme je serai encore plus riche qu’avant, l’autorité symbolique qui en découle va encore augmenter ! Et de toute façon, j’ai de mon côté les médias et le pouvoir politique. »

Je suis riche, donc j’ai raison !

Maintenant, nous savons que le roi est nu et que les lois du marché sont dévoyées par des investisseurs peu scrupuleux qui fabriquent des cotations. Si vous voulez savoir quelle est la valeur d’une œuvre d’art, nul besoin de vous adresser à un expert. La valeur d’une œuvre d’art est le prix qu’une personne qui fait autorité est prête à mettre pour l’acquérir… Aujourd’hui, les détenteurs du savoir n’exercent plus d’autorité symbolique. Désormais, l’autorité symbolique provient du capital économique. C’est pour moi une forme de violence symbolique oppressante.

Et l’opinion publique dans tout ça ?

art bling blingLe public est amusé ou scandalisé. Prétendre réconcilier le public avec l’art contemporain en exposant des gros lapins géants, c’est prétendre réconcilier le public avec la musique classique en lui faisant écouter une fanfare municipale ! C’est l’autorité symbolique de l’argent dans toute sa vulgarité. François Pinault défend un art monumental qui se prétend ludique alors qu’il est sans âme. Jeff Koons est bel et bien le représentant de notre époque !

Hommage aux vrais artistes

Yayoi Kusama, tout ce qui brille n'est pas bling-blingLes créations les plus spectaculaires ne sont pas forcément les plus fortes. Je tiens à rendre hommage à tous les artistes qui m’ont tant apporté. Ils ont aiguisé ma sensibilité, ont modifié mon regard sur le monde et sur moi-même, leur créativité est et restera pour moi une source inépuisable de bonheur.

Martin Barré, Jean Degottex, Jean Dubuffet, Maurice Esteve, Bernard Frize, Andrea Gursky, Bertrand Lavier, André Masson, Pietr Mondrian, Roman Opalka, Parmiggiani, Gehrard Richter, Mark Rothko, James Turell, Cy Twombly, et bien sûr… Kandinsky ! Et tant d’autres !…

Devenir le Pierre-Marie Banier à sa mémère !

Si je rencontrais un jeune artiste, voici les conseils que je lui donnerais: "plutôt que d’acquérir une culture artistique, deviens un courtisan. Prends modèle sur Pierre-Marie Banier! Trouve-toi un riche, fréquente les cocktails où il faut être. Au lieu de lire les théories sur l’art, au lieu de te concentrer sur ta création tout seul dans ton atelier, lis les magazines people. Et lorsque tu rencontreras un riche, surtout dis-lui bien à quel point il est beau, intelligent et visionnaire…"

 

 http://www.lesechos.fr/industrie-services/dossiers/0203039084607/0203087499503-ces-collectionneurs-tout-puissants-qui-regnent-sur-l-art-contemporain-621843.php?ZRpAALLlflRqPOYm.99

Par leur mécénat, leurs prêts d’œuvres, leur présence dans les « boards » des musées et leurs fondations, les grands collectionneurs font la pluie et le beau temps sur le marché de l’art contemporain.

Le 12 novembre, chez Christie’s New York, des collectionneurs devraient s’arracher une œuvre d’art contemporain iconique aux quatre coins de la planète : « Balloon Dog » de Jeff Koons. Acquise dans les années 1990 pour moins de 1,5 million de dollars par le magnat de la presse et producteur de films new-yorkais Peter Brant, qui la remet en vente au profit de sa fondation d’art dans le Connecticut, elle est aujourd’hui estimée entre 33 et 55 millions de dollars... Les autres exemplaires sont détenus par des patrons milliardaires, François Pinault, Dakis Joannou, Eli Broad et Steve Cohen.

Le marché de l’art mondial a profondément changé en une dizaine d’années, avec un boom des collectionneurs stars que l’on retrouvera cette semaine dans les allées de la Fiac. De nouveaux riches, de la Russie à la Chine en passant par l’Inde, l’Indonésie, Singapour, le Brésil, le Mexique ou les pays du Golfe, rivalisent avec les milliardaires européens ou nord-américains dans cette « Ruée vers l’art », titre d’un film récemment sorti en salles. « L’art est devenu depuis cinq ans l’un des meilleurs placements financiers » déclare dans ce long-métrage James R. Hedges IV, à la tête d’un fonds spécialisé. Véritables amateurs, spéculateurs, hommes d’affaires en quête d’un supplément d’âme ou d’un statut social à travers l’art, les profils des collectionneurs divergent. Mais, vu la mise de fond de ces nababs de l’art, difficile de penser qu’ils négligent le retour sur investissement possible...

Dans ce cercle fermé qui compte une centaine de collectionneurs, dont les achats sont scrutés par un aréopage de suiveurs, la provenance d’une œuvre compte presque autant que la signature de l’artiste : avoir été apprécié par le patron de « hedge fund » américain Steve Cohen, par l’oligarque russe Roman Abramovitch, président du Chelsea Football Club, par les géants français du luxe Bernard Arnault et François Pinault, ou encore par le milliardaire mexicain Carlos Slim, le Coréen star des médias Ahae, et ou la sheikha qatarie Al Mayassa, propulse immédiatement l’heureux élu au pinacle. Tous accèdent aux meilleures galeries, qui leur réservent leurs plus belles pièces.

Cet engouement pour un marché où l’offre de trophées n’est pas extensible explique la flambée d’artistes à la mode, restreignant d’autant les possibilités d’achats de musées toujours plus dépendants de la générosité des mécènes. « Ainsi Maurizio Cattelan, qui a érigé la transgression en art majeur, a atteint rapidement des prix phénoménaux, porté par des galeries et collectionneurs puissants », commente Thierry Erhmann, patron de la base de données Artprice. Entre 2004 et 2011, les enchères atteintes par les œuvres de cet artiste ont presque quadruplé.

Des partenaires omniprésents

Aujourd’hui, « ce ne sont plus tant les musées et les critiques d’art qui font la cote des artistes que les collectionneurs avec quelques galeristes ou maisons de vente internationales », reconnaît le marchand Emmanuel Perrotin. C’est particulièrement vrai dans l’art contemporain, plus sensible aux manipulations de cote. Certes, un artiste a toujours besoin d’être légitimé par de grands musées et, comme le note Vincent Berjot, directeur des patrimoines au ministère de la Culture, « les conservateurs en France restent maîtres de leurs expositions ; nous n’en sommes pas encore au système des trustees américains ». Mais force est de constater que les collectionneurs importants sont omniprésents dans les conseils d’administration de ces musées ou dans leurs cercles d’amis, et qu’ils sont devenus incontournables dans les programmations de ces institutions, par leurs prêts ou leurs financements.

« Les musées sont de plus en plus contraints à un exercice de funambule, programmant des expositions sans savoir comment les financer », note Brigitte Salmon, ex-directrice du musée des Arts décoratifs. Leurs deniers étant comptés, « 80 % de l’enrichissement des collections publiques aujourd’hui provient des collectionneurs, donc du marché », constatait récemment Gilles Andreani, conseiller maître à la Cour des comptes, lors d’un colloque organisé par le CVV, le gendarme des enchères. Or, « dans la cote d’un artiste, expositions d’envergure et donations aux musées phares jouent un rôle très important », souligne Arnaud Dubois, responsable des placements en art à l’Institut du patrimoine.

Conscient de cela, le président du Centre Pompidou, Alain Seban, a diversifié son mécénat au-delà de l’Europe et des Etats-Unis, via des cercles d’amis au Japon, en Chine, dans le Golfe, cherchant ainsi à repérer des artistes encore abordables et à renforcer son indépendance. Mais cela ne fait que déplacer le problème : le nouvel accrochage de la collection permanente, « Modernités plurielles », est beaucoup moins occidental… « Les institutions ne peuvent plus se passer de partenaires privés, mais il faut rendre cette collaboration vertueuse », reconnaît Jean de Loisy, à la tête du Palais de Tokyo.

La multiplication des prix organisés par ces collectionneurs, assortis de la possibilité pour les lauréats d’entrer dans une institution publique, illustre aussi cette influence, à l’instar du prix SAM Art Projets de Sandra et Amaury Mulliez, qui donne droit à une exposition au Palais de Tokyo, ou du prix du dessin décerné par Florence et Daniel Guerlain, qui ouvre la porte du musée national d’Art moderne : ces mécènes ont offert pas moins de 1.200 dessins à Beaubourg, qui leur consacre actuellement une exposition. « Incontestablement, notre prix apporte un surcroît de valeur à ses bénéficiaires, même si nous évitons d’avoir des gens trop proches du marché dans notre jury », reconnaît Florence Guerlain. Nombre de ces trophées, tel le prix Marcel Duchamp accordé par l’Adiaf – association de 300 collectionneurs –, sont en outre décernés pendant la Fiac, qui draine des décideurs internationaux.

Prolifération des musées privés

Indépendamment des musées, les collectionneurs ont les moyens de valoriser leurs œuvres dans des écrins n’ayant rien à envier aux structures publiques, avec leurs fondations. Au point de générer un véritable circuit parallèle des œuvres que se prêtent ces lieux exceptionnels créés partout dans le monde. « Ces mégacollectionneurs préfèrent avoir leurs propres espaces d’exposition, car ce sont des vecteurs encore plus forts en termes d’image pour eux », souligne Ingrid Brochard, fondatrice du MuMo, musée mobile financé par du mécénat. Ces fondations ont désormais une place de choix dans le paysage mondial de l’art, du Palazzo Grassi de François Pinault à Venise aux futures fondations Louis Vuitton à Paris ou Carmignac à Porquerolles, de l’espace d’art de la famille Rubell à Miami à la Deste Foundation de Dakis Joannou à Athènes, du centre d’art du pétrolier norvégien Hans Rasmus Astrup à Oslo au parc d’Inhotim de l’homme d’affaires brésilien Bernardo Paz, en passant par les musées de Jakarta et de Shanghai du roi du poulet indonésien Budi Tek.

« L’explosion de ces lieux privés, quasi tous dédiés à l’art contemporain, est hallucinante. Le logiciel que nous avons élaboré pour permettre à ces centres d’art de suivre l’évolution de la cote de leurs acquisitions compte 17.000 abonnés ! » remarque Thierry Ehrmann. Même les poids légers s’y mettent : de l’Institut Bernard Magrez créé par le propriétaire de châteaux viticoles, à la Villa Datris fondée par la patronne de l’entreprise d’emballages Raja, Danièle Kapel-Marcovici, en passant par la Villa Emerige de Laurent Dumas…

En ouvrant ces lieux parfois pourvus de résidences d’artistes, ces collectionneurs soutiennent les talents, mais se donnent aussi un accès direct à leurs œuvres, au grand dam des professionnels. Car le nerf de la guerre, ce sont ces pièces d’exception de jeunes pointures prometteuses que l’on déniche avant les autres. Il suffit de voir à quel point les créneaux réservés aux VIP dans les foires d’art sont prisés des chercheurs de pépites : une année, à Art Basel, la plus prestigieuse de ces foires, un collectionneur s’est déguisé en employé du site pour repérer le premier. Selon la rumeur, il s’agissait de François Pinault… Quoi qu’il en soit, l’homme d’affaires est l’un de ceux qui disposent du plus grand nombre d’atouts pour « faire » la valeur d’un artiste, avec sa gigantesque collection montrée à la fois au Palazzo Grassi et dans diverses institutions (en ce moment à la Conciergerie), son ambassadeur aux réseaux indiscutables, l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon, et sa maison de vente aux enchères leader mondial, Christie’s. D’autant plus que, « dans l’art contemporain, pour établir la cote d’un artiste, il faut passer par les ventes aux enchères : ces dernières, qui représentaient 75 millions d’euros dans le monde en 2002, s’élèvent à 1 milliard dix ans après ! » observe Thierry Ehrmann. « Il existe de réelles stratégies de certains collectionneurs qui mettent aux ventes aux enchères de New York des œuvres d’un artiste dont on retrouve les prix doublés à Art Basel », souligne Olivier Kaeppelin, directeur de la fondation Maeght, ancien délégué aux arts plastiques du ministère de la Culture.

Un impact sur l’écosystème

Ce qui n’est pas sans effets pervers sur l’écosystème. « Il y a trop de spéculation. Les cotes et décotes dépendent de gros collectionneurs. Si ces mécènes disparaissent, l’artiste n’existe plus », s’inquiète la galeriste Aline Vidal. « Il y a moins de reconnaissance du travail de découverte accompli par les galeries sérieuses de taille intermédiaire », déplore sa consœur Anne de Villepoix. « Certains artistes très demandés, réalisent quasi industriellement des pièces attractives au rythme effréné des foires. Mais c’est une économie très différente du reste du marché », note l’artiste Miquel Mont.

Olivier Kaeppelin tempère : « Certes, il existe des “filons” qui réduisent l’art à un simple objet comme un autreMais il est bon pour la France – pays au modèle centralisé, négligeant de reconnaître ces passions privées qui pourtant ont alimenté bien des musées – d’accueillir toutes ces fondations et de diversifier les points de vue. Je n’ai jamais pensé que le secteur public avait l’apanage du bon goût. » Un avis partagé par Jean de Loisy : « Le marché de l’art ne fait pas l’histoire de l’art, il en donne une image déformée, éphémère, avec à son sommet de très bons et de très mauvais artistes. Mais pourquoi se passer de la vision d’amateurs engagés ? Sans eux, il y aurait des carences dans les collections françaises. Par exemple, sans Yvon Lambert et sa donation, on serait passé à côté de Cy Twombly ou de Robert Ryman. » 

Martine Robert

http://www.mauvaisenouvelle.fr/?article=art-contemporain-de-la-fabrication-des-idoles-financieres--405

De la fabrication des idoles financières

Par 

Un cas d’école

Jean Paul II canonisé, météorisé, re-coté

Après l’arrivée des reliques de Jean Paul II en la cathédrale de Rennes en ce mois de Mai 2014, l’archevêché, la municipalité, les institutions culturelles de la capitale bretonne, célèbrent sa canonisation, dans un grand élan œcuménique. Ces divers cultes font cause et com. commune pour lancer l’exposition « Libre ! »1 Illustrant la vie et l’œuvre du pape polonais. Elle a lieu simultanément en la basilique Saint Aubin et au Musée des Beaux-Arts. Le collectionneur français François Pinault y expose un de ses chefs d’œuvres du « Financial Art »: « le Pape écrasé par une météorite », inaugurée ce 10 juin par les notables, évêque en tête. Mgr d’Ornellas a célébré cette « provocation… mais salutaire ! »

Pour nos âmes ? Ou pour la cote ?

Cette œuvre fait date dans l’histoire financière de l’art. En 1999 le galeriste Emmanuel Perrotin se rend dans l’atelier d’un sculpteur de grand métier, Daniel Druet. Il est accompagné de l’auteur contemporain Maurizio Cattelan qui ne réalise jamais d’œuvres lui-même. « Pas d’atelier, juste un téléphone ! » Telle est sa devise ! Ils viennent passer commande. Ils veulent le pape Jean Paul II grandeur nature, façon musée Grévin. Ni maquette ni projet écrit ou dessiné : au praticien d’aviser.

Quelques mois plus tard, le premier exemplaire de l’œuvre est exposé et acheté à la Foire de Bâle par un collectionneur discret. Un deuxième exemplaire appartenant à François Pinault fait son apparition à Londres en l’Académie Royale, pour l’exposition « Apocalypse ». En Mai, 2001 le premier exemplaire vendu à Bâle cote chez Christie’s à New York 800 000 dollars.

François Pinault veut faire mieux avec son exemplaire, le numéro deux. Les Londoniens ne sont pas papistes et le malheur du pape n’a pas attiré l’attention des médias et l’émotion du peuple. Une nouvelle stratégie est conçue par notre Clausewitz de la cote artistique ! Il fait la cour à la directrice du musée Zacheta de Varsovie, elle succombe à ses charmes, elle expose l’œuvre. Les Polonais vénèrent leur pape qui est alors bien en vie.

C’est le scandale, la révolte, l’insurrection des dévots. L’œuvre apparaît sur tous les écrans du monde. Anna Rottemberg démissionne du Musée. En 2004 chez Christie’s l’œuvre atteint 3 millions de dollars.

Le réveil d’une cote endormie

En 2014 la cote du pape écrasé par une météorite est endormie depuis dix ans. L’occasion se présente : Jean Paul II prend du galon, il est canonisé. François Pinault conçoit un nouveau plan de bataille. Quelle stratégie mettre en œuvre ? Après tout « Him », un Hitler en prières, signé Maurizio Cattelan, également de la main de Druet, a fait 14 millions de dollars en 2013, (Le Pape n’a atteint que les 3 millions). Exposé dans différents ghettos, notamment à Prague et à Varsovie, il a causé émotion populaire et vif scandale.2

Alors pourquoi ne pas réanimer le pape ! Il faut un contexte propice… Pourquoi pas la France ? Les foules sont en effervescence, la fronde est sur Internet … en voilà un potentiel ! Pourquoi pas la Bretagne ? Les bonnets rouges ont repris le bocage.

L’histoire dira si François Pinault a été en l’occurrence un bon stratège. Rien n’est sûr : les curés bretons sont shootés à l’AC3 depuis la création de « l’Art dans les chapelles » en 1996. Le FRAC de Bretagne a établi solidement le nouveau culte célébrant « l’Art contemporain ». La pratique religieuse traditionnelle s’est effondrée disent les experts, sociologues et statisticiens. Pinault est une autorité qui concurrence celle de l’évêque en matière de culte. La révolte populaire n’est pas certaine. Or, pas de scandale - pas de cote !

Où est l’art ? Qui est l’artiste ?

La fabrication de la cote par diverses manipulations est un « grand art financier » qui mérite reconnaissance. La question se pose : qui est le véritable créateur d’une œuvre d’AC ? Sa production demande la collaboration de trois protagonistes indissociables : - le collectionneur « producteur » de l’œuvre s’occupe de marketing et de stratégie financière, - « l’artiste contemporain » signe le concept, - l’artiste conçoit la forme et la réalise. Ce qui produit un imbroglio juridique : lequel des trois acteurs de l’œuvre est l’artiste ? Qui a la propriété artistique et intellectuelle ?

Une bataille sémantique et juridique est en cours : « l’artiste contemporain » se dit seul créateur de l’œuvre et ravale au rang « d’artisan » celui qui en conçoit la forme et la réalise, même s’il ne lui a livré aucun programme écrit et détaillé, aucun dessin.4 Ainsi « l’artiste contemporain » joue de fait le rôle du commanditaire de la Renaissance qui impose le « programme » de l’œuvre à l’artiste, à une exception près… c’est qu’il n’est rien sans le « collectionneur financier et stratège » créateur de sa valeur et sa reconnaissance. Ils forment aujourd’hui un binôme inséparable. La situation est inédite pour le droit français de la propriété intellectuelle et artistique élaboré à la fin du XVIIIèmesiècle. Celui-ci diffère totalement du droit de copyright pratiqué dans les pays anglo-saxons, beaucoup mieux adapté au commerce et au « Financial art ». L’œuvre d’art y est considérée comme une marchandise parmi d’autres. Dans l’International, il y a donc aujourd’hui un violent conflit de légalité.

Conflits de légitimités

Il existe un troisième exemplaire « du pape martyr de la divine colère», celui du praticien Daniel Druet. Il est exposé à titre documentaire et anecdotique au château de Vascueil en Normandie. Il fait partie d’une rétrospective de l’œuvre de cet excellent sculpteur, un des meilleurs portraitistes actuels. Il s’est amusé à illustrer la situation ubuesque de « l’artiste » face à « l’auteur d’AC » dans une installation représentant Maurizio Cattelan en coucou squattant un nid. Cette œuvre pleine, d’humour et de réalisme, illustre la situation ubuesque actuelle de « l’artiste » face à « l’artiste d’AC ». Il soulève l’épineux problème des conflits de lois entre le droit français très élaboré en matière de propriété intellectuelle et artistique et la législation anglo-saxonnes du copyright.

La loi en France protège non seulement les droits de l’artiste mais aussi ceux du praticien, elle prévoit que les deux signatures doivent figurer sur l’œuvre. Ainsi « le Baiser » de Rodin porte les signatures de Rodin et de Pompon. La peau lisse des amants enlacés ressemble davantage aux ours de Pompon qu’aux œuvres tourmentées et rugueuses de Rodin. Bourdelle fut aussi son praticien. Rodin, Pompon et Bourdelle ont été praticiens et artistes… et quels artistes !

On voit sur les gravures de Gustave Doré sa signature en bas à gauche et celle du praticien en bas à droite. Ce droit est bien vivant puisqu’un procès récent a été gagné par la famille du praticien de Renoir, Richard Guino, pour que soit mentionné son nom sur les tableaux du maître.

Qu’est-ce que l’art ? Qui est artiste ? Cela se règle aujourd’hui au tribunal.

Méthode de fabrication d’une idole financière

Si les querelles au tribunal contribuent à l’histoire mouvementée et donc à la visibilité des œuvres de « Financial art », le ressort essentiel de leur valeur reste leur accès à la sacralité.

Elles sont sacrées ou n’existent pas. Leur monstration dans les sanctuaires et les lieux tragiques de l’histoire sont absolument nécessaires. Les bénédictions et sermons épiscopaux sont indispensables à leur mode opérateur. Elles n’existent pas sans les discours des quatre clergés5. Ils prêchent la haute moralité et spiritualité des œuvres d’AC : elles contribuent au bien de l’humanité, elles « donnent à penser », « interpellent dans le vécu », « dérangent le confort spirituel et bourgeois », etc.

Mais la méthode est de type terroriste. Les œuvres d’AC fonctionnent comme des explosifs. Elles atteignent leur but quand elles ont détruit le contexte, reprogrammé le sens, semé l’effroi, la confusion, la panique.

La seule défense contre ce terrorisme intellectuel est d’en révéler la machinerie. Connaître la mécanique qui anime les mâchoires du dieu Bâal, provoque sa désacralisation et la peur s’évanouit. Dès lors, « le regardeur » comprend qu’il ne faut pas faire partie de l’œuvre en criant au scandale ou en participant au culte.

La méthode terroriste est très répandue chez les stratèges de la finance et du marketing. Transgression et scandale sont les voies d’accès majeures à la visibilité internationale des produits artistiques financiarisés. Deux critères fondent la valeur de la cote :

  • L’hyper-visibilité.
  • L’identité prestigieuse, mais pas toujours révélée au grand public, des collectionneurs possesseurs de l’œuvre en voie de financiarisation. Ils collectionnent en réseau fermé des œuvres qui existent en plusieurs exemplaires. Les cas évoqués ici sont des cas d’école.
Le rôle des 4 clergés

En ce mois de juin 2014, au Musée des Beaux-Arts de Rennes le soir du vernissage, la cour de François Pinault, « grand collectionneur producteur et stratège » est là.

Pour son plus grand bonheur et amusement, les agents de production de l’œuvre sont tous présents : évêques, intellectuels, universitaires, journalistes, inspecteurs et commissaires. Les divers ordres du clergé procèdent aux discours de légitimation de l’œuvre qui précèdent les libations.

Ils sont l’œuvre conceptuelle même, son incarnation.

Une œuvre d’AC n’est pas seulement un « objet artistique », c’est tout le contexte : les lieux et les participants, les dames du monde, les amateurs de viagra, les magistrats, les journalistes, les scandalisés, les « populistes » et les « intégristes ». Tous font partie de l’histoire de l’œuvre, de son ADN. L’évêque en est le transgresseur le plus éminent. C’est un détonateur puissant qui pourrait mettre le feu aux poudres.

Mais le coup de Gap6 peut-il se reproduire à Rennes ?

 

Aude de Kerros, graveur, essayiste
Auteur notamment d’une histoire de l’art sacré en France de 1975 à nos jours : « Sacré Art contemporain – Evêques, Inspecteurs et Commissaires » aux « Éditions Jean Cyrille Godeffroy.

 

Notes

  1. « Libre » : Exposition sur Jean Paul II à la Basilique Saint Aubin et au Musée des « Beaux-Arts » de Rennes, du 8 juin au 8 juillet 2014.
  2. Le sacré lié au judaïsme fonctionne mieux financièrement car la transgression est plus grande. L’inconvénient du sacré chrétien c’est que le scandale n’est pas où l’on croit pour des raisons théologiques. Le Christ, Dieu incarné est lui-même la transgression suprême. Il a été en raison de cette transgression victime d’outrages. La dérision et l’humiliation pratiquée à son égard, n’opèrent pas de la même façon. De plus, tout chrétien a comme voie spirituelle de s’identifier au Christ et à participer au sacrifice. Il fait partie de son corps mystique qui est l’Église.
  3. AC Acronyme de « Art contemporain ». Il permet au lecteur de distinguer ainsi le courant conceptuel, financiarisé dans le monde et officiel en France, des multiples courants de l’art d’aujourd’hui.
  4. Ce qui est le cas pour les nombreuses œuvres dites de Maurizio Cattelan, conçues et réalisées par Daniel Druet.
  5. Clergé d’Église, clergé des journalistes, clergé de l’Université, clergé de l’administration culturelle.
  6. François Pinault a instrumentalisé Monseigneur Di Falco, évêque de Gap, pour démarrer la cote d’un « Christ assis sur une chaise électrique ». Le prélat a installé cette œuvre intitulée « Pieta » près de l’autel lors de la célébration de la messe de Pâques 2009. Le scandale a eu lieu, la presse a suivi, la cote de l’artiste Peter Fryer, jusque-là obscur, est vite montée : le Christ électrocuté a été ensuite un des fleurons de l’exposition de Vannes organisée par François Pinault : « Qui a peur des artistes ? », pour inaugurer son grand tour des expositions de prestige et des foires.

 

ARNAULT
http://www.grazia.fr/culture/news/art-contemporain-la-fondation-louis-vuitton-ouvrira-ses-portes-en-octobre-661986

Les OVNI attaquent Paris. Quelques semaines  après la Canopée de 14 mètres de haut qui recouvrira une partie des jardins du Forum des Halles new look, un vaiseau futuriste va ouvrir ses portes en bordure du jardin d’acclimatation, dans le Bois de Boulogne : la Fondation Louis Vuitton.

C’est le patron du groupe de luxe, Bernard Arnault lui-même, qui a officialisé la date de l’inauguration au journal de 20h de TF1 dimanche. Le 20 octobre, quelques jours avant la FIAC, le public pourra découvrir cet espace de 11 700 m2 dédié à l’art contemporain.

"Nous allons exposer des collections qui appartiennent pour partie déjà à la Fondation, une partie de mes collections et puis nous aurons aussi des expositions temporaires pour lesquelles nous ferons travailler des artistes contemporains", a déclaré Bernard Arnault. "Certains vont réaliser des œuvres spécialement pour la fondation", a-t-il dit. "Je serai assez impliqué dans les choix".

La Fondation apparaît comme un pied de nez du patron de LVMH à son grand rival, François Pinault, dont le propre  projet artistique francilien n’a jamais pu aboutir (il était prévu sur l’Ile Seguin à Boulogne-Billancourt) et qui, de guerre lasse, a préféré répondre à l’invitation de Venise qui lui a offert le spectaculaire implantation de la Pointe de la Douane et son Palazzo Grassi en 2005.

Différence notable : la fondation Louis Vuitton – comme son nom l’indique – est une initiative d’entreprise quand celle de François Pinault n’engage pas son groupe, PPR.

Le corps central de la Fondation Louis Vuitton est enveloppé dans douze voiles de verre, qui procurent de la transparence et jouent sur les reflets. Avec les verrières, tout compris, le bâtiment conçu par le grand architecte américain Frank Gehry dépasse les 40 mètres de haut.

Ce qui lui a d’ailleurs valu les foudres des riverains qui ont bien failli faire capoter le projet en 2011 lorsqu’ils ont obtenu l’annulation de son permis de construire. Mais un lobbying efficace auprès de députés de tous bord a permis de briser cette résistance teigneuse en labelisant le projet d’ "utilité publique ».

L’investissement global dans le bâtiment - qui sera offert dans 55 ans à la ville de Paris - dépasserait les 100 M €. Le " rêve " de Frank Gehry  (85 ans) est à ce prix. Le nouveau bâtiment est typique du style « feuilleté » du grand architecte qui a conçu dans le même style l’Opéra Walt Disney de Los Angeles (1989) et le Musée Guggenheim de Bilbao (1997).

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